1
Seigneur, rends-moi justice :2
Éprouve-moi, Seigneur, scrute-moi, *3
J’ai devant les yeux ton amour,4
Je ne m’assieds pas chez l’imposteur,5
L’assemblée des méchants, je la hais,6
Je lave mes mains en signe d’innocence7
pour dire à pleine voix l’action de grâce8
Seigneur, j’aime la maison que tu habites,9
Ne m’inflige pas le sort des pécheurs,10
ils ont dans les mains la corruption ;11
Oui, j’ai marché sans faillir :12
Sous mes pieds le terrain est sûr ;
Commentaire
Parce que je ne suis pas fou.
« Arrêtez, je n’en peux plus, vous êtes trop nombreux et trop forts, Dieu et vous, contre moi. »
A ce stade, on pourrait croire que Job – comme une personne en situation de « syndrome post-traumatique » – aurait envie, à bout de souffle, de se conformer à la pression de son entourage, se couler dans le moule du « tu as tort, c’est de ta faute, tu t’es trompé ! ». Pour essayer de souffrir un peu moins.
Mais non ! – Sa protestation, qui est aussi le signe qu’il a perdu, le signe que les autres sont plus forts : qu’on l’écrive en encre indélébile, qu’on la taille dans le roc ! Pas pour prouver, plus tard, que ce qu’il a dit était vrai. Pour prouver qu’il l’a vraiment dit. Qu’il n’était pas fou.
Ecrire pour faire durer ce cri et cette folie, qui réclament le droit d’être reconnus comme raisonnables : c’est le pari de l’incroyable poète, ou des poètes, qui ont ciselé le texte du livre de Job. C’est aussi fou, ou aussi raisonnable, que de dire : « Je sais que mon Rédempteur est vivant. » Quelqu’un me défendra.
Mon Rédempteur est vivant, quelque part très loin. Qu’il me protège, et qu’il protège en moi ce désespoir et cet espoir, ces minuscules flammes qui tremblent en moi.